La traversée du désert

Publié le par parisvladiv

De l'eau tiède coule dans mon dos et on me savonne vigoureusement. Gulnara et sa maman s'emploient à me rendre présentable avant le diner. Je suis dans la “salle de bain”, un abri dans le jardin. Elles ont tenu à s'occuper personnellement de ma toilette et j'ai l'impression d'être une poupée entre leur mains. J'aime bien qu'on s'occupe ainsi de moi, c'est agréable de se laisser faire! Elles s'amusent beaucoup à m'asperger d'eau et n'hésitent pas à me savonner deux fois. Gulnara veut absolument que je me ponce les pieds mais c'est impossible, je pars dans un fou rire dès que je commence à me frotter la voûte plantaire. Je ne serais donc que “presque” parfaite.

 

ouzbekistan-à nukus en costume traditionnel

 

Gulnara me prête un ensemble traditionnel et sa maman me coiffe les cheveux en arrière avant de m'enrouler un foulard doré autour de la tête. Je me sens tout d'un coup tellement plus féminine sans mes oripeaux crasseux de cyclistes du désert!

On a pourtant tourné longtemps dans Nukus avant d'arriver dans cette famille. Je crois bien avoir parcouru toutes les rues du centre-ville à la recherche d'un endroit pour dormir. Impossible de planter la tente et les quelques hôtels croisés sont hors de prix. On nous avait indiqué l'hôtel Tachkent, un grand hôtel de style soviétique mais il est aujourd'hui à l'abandon. Finalement c'est croyant voir le mot “chambre” sur une pancarte que nous rencontrons Ticcai et ses collègues. L'un deux parle anglais et nous invite à suivre Ticcai chez qui nous passerons la nuit. Comme quoi sur un malentendu...


ouzbekistan-a nukus avec gulnara et sa famille (2)

 

Avant de repartir vers les espaces arides nous refaisons le plein de provisions au grand bazar de Tachkent. Un petit bain de foule avant de retourner dans la solitude. Après les énièmes embrassades et photos nous reprenons la route et, sitôt les portes de Nukus derrière nous, le vert disparait et le sable nous rattrape.

Nous passerons la nuit dans un vieux bâtiment au bord de la route, une maison en cours de construction apparemment jamais achevée. Pour seuls compagnons nocturnes quelques oiseaux et chauve-souris. Des graffitis nous indiquent que nous ne sommes pas les seuls voyageurs à avoir élu domicile dans ce lieu pour la nuit mais nous partons sans laisser de trace.

Nous atteignons Tortkol le lendemain, dernière ville du Karakalpakstan avant la traversée du mythique Kyzyl Kum. Un monsieur, épris de littérature française, nous propose de nous héberger. Sa fille, Bibissora est professeur de français et nous sert de traductrice avec le reste de la famille. C'est ainsi que nous en apprenons un peu plus sur les coutumes ouzbek: par exemple, les garçons restent vivre avec leur parents une fois mariés tandis que les filles partent vivre chez leur belle-famille. Alors ce soir Bibissora a un bon motif pour rester chez ses parents, elle doit s'occuper de nous! On nous montre également le fonctionnement du berceau, qui a des airs d'instrument de torture pour enfants. Jusqu'à environ l'âge de 2 ans, les enfants sont attachés au niveau du torse et des jambes sur le dos dans un berceau très étroit. Une petite canule évacue l'urine vers une poche et un drap opaque recouvre le berceau pendant que l'enfant dort. Le balancement du berceau est plutôt vigoureux ici mais apparemment ça marche aussi. A notre grand étonnement les mères continuent d'allaiter leurs enfants la nuit le plus tard possible alors que chez nous on se réjouit quand ils font leurs nuits rapidement. A côté de ça les enfants jouissent d'une grande liberté de mouvement et on les laisse manger et boire tout seul et n'importe quand sans s'offusquer des assiettes et des verres renversés. On ramasse sans les gronder et la discussion continue entre adultes et c'est tout!

Il a plu une bonne partie de la nuit et le lendemain matin tout est détrempé. Les averses cessent enfin en début d'après-midi et nous reprenons la route. Les parents de Bibissora sont un peu inquiets de nous laisser partir car 40 km après Tortkol le vrai désert commence. Mais nous sommes décidés et commençons à progresser sur la piste défoncée dès la sortie de la ville. Ironie du sort nous sommes contraints de nous arrêter aux portes du désert à cause de la pluie le soir même!

Le lendemain il continue de pleuvoir mais on en profite pour faire notre lessive et la faire sécher entre deux orages. Après ces 3 jours de pluie, la piste est vraiment boueuse quand nous commençons à pédaler. Mais le vent fait son œuvre et elle sèche rapidement. Pour une fois qu'il nous est utile celui-là! Comble de malchance, la chaîne de Vincent casse au bout de 5 km. La journée commence bien! Un camion nous double mais son pneu éclate 500m plus loin. Tout au long de la route, nous croiserons ainsi de nombreux véhicules arrêtés: pneus éclatés, capots ouverts, radiateurs en surchauffe. Cette piste fait décidément souffrir les machines et les hommes. Les travaux n'en finissent pas et à chaque fois on nous annonce 10km de plus de mauvaise route. J'ai l'impression que le bitume de réapparaitra jamais. La route est un gigantesque chantier où tout l'asphalte a été détruit et où les véhicules se faufilent en tentant d'éviter les trous. Les vélos souffrent mais tiennent bon. A la fin de la journée, la récompense, un sublime bivouac sur le sable près de l'Amou Daria et le lendemain matin aux premiers rayons du soleil, une douche dans ses eaux claires.


ouzbekistan-route en construction presque terminée!

 

Après quelques kilomètres de bitume, un nouveau panneau nous indique des travaux sur la route mais cette fois-ci opérés par les Allemands qui ont pris soin de laisser une bande d'asphalte et ça change tout. A l'heure du déjeuner nous sommes même invités dans leur cantine mobile pour manger du plov et boire le thé. Une aubaine dans ce désert qui finalement n'est pas si désert que ça avec tout ces travaux! Ce petit restaurant avait plutôt l'air sympathique avec son patron affable, ses serveuses souriantes et surtout sa bière et son tuyau d'eau fraiche devant la terrasse. L'arrière du restaurant est un véritable dépotoir et pas moyen de planter la tente à l'abri du vent ailleurs. Gentiment il nous propose de dormir dans le hangar attenant à la cuisine. En fait ce hangar sert de réserve de nourriture, de salle à manger et de dortoir pour le personnel qui dort sur place et forcément il a oublié de nous préciser que le restaurant était ouvert jusqu'à 2h du matin. Comme il est le seul à 50 km à la ronde, les camions et les cars s'arrêtent tous pour dîner et se ravitailler en eau. Et quand la viande vient à manquer sur le grill, on vient découper un grand morceau de barbaque à la hache dans notre chambre et éplucher quelques oignons... entre deux arrivages de clients, les serveurs viennent discuter et boire le thé en écoutant la musique grésillante de leur portable à fond… 

 C'est pas l'idéal pour dormir. Enfin vers 2h30, tout se calme et chacun va se coucher. Mais 5h plus tard, on vient les réveiller pour reprendre du service... un brossage de dents, un débarbouillage rapide au robinet, la serviette sur l'épaule et 10 minutes plus tard la journée de travail commence. L'esclavage moderne. Mon ancien employeur aurait du y penser, les lits au bureau c'est LA solution pour faire travailler encore davantage son personnel. Nous fuyons au plus vite pour retrouver notre solitude et jurons de trouver le soir venu un lieu calme pour récupérer de cette nuit agitée.

Aujourd'hui nous sommes vraiment seuls, pas de travaux en vue, quelques dunes et le sable qui vient lécher la route. Mais le sable n'est pas rouge. Pourquoi appelle t'on le Kyzyl Kum le désert rouge?


ouzbekistan-dans le desert pres de l amou daria

ouzbekistan-dans le desert-le seul coin d ombre

 

Les derniers kilomètres se savourent, les arbres et les champs sont réapparus, le soleil parait dès lors moins ardent et nos lèvres moins sèches. Mais surtout je sens une odeur de fleurs qui vient me chatouiller le nez. Des abeilles virevoltent près de la fontaine. Le désert est derrière nous.

ouzbekistan-dans le ciel du desert

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L
<br /> <br /> Bonjour Virginie,<br /> <br /> <br /> La lecture de ton journal est toujours aussi passionnant.....<br /> <br /> <br /> Tu nous donnes vraiment la possibilité de participer à toutes tes pérégrinations et de partager ton quotidien pas toujours évident.<br /> <br /> <br /> nous souhaitons que ta "bonne étoile" conjuguée à ta ténacité te permettent de poursuivre ta route avec succés.<br /> <br /> <br /> Sans vouloir alourdir ta charge, aurais-tu la possibilité de prendre un peu de sable du désert que tu traverses?<br /> <br /> <br /> Avec toute notre amitié<br /> <br /> <br /> Alain & Colette<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Salut Virginie!<br /> <br /> <br /> Ta plume est de plus en plus agréable à lire! Merci pour ces récits et continuez bien votre route!<br /> <br /> <br /> François<br /> <br /> <br /> <br />
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