Wild Wild East

Publié le par parisvladiv

 


Je commence à distinguer la côte malgré l'épais brouillard. "Nous devrions arriver dans 2h" m'annonce  Mustapha au petit déjeuner. Les 2h les plus longues de ma vie!


Le moteur du bateau s'est arrêté et Mustapha est venu m'annoncer la mauvaise nouvelle : "il n'y a pas de place dans le port, nous débarquerons demain". En rentrant dans la cabine, notre colocataire, un ferronnier, fait ses bagages et c'est à mon tour de lui briser le cœur. Il a le mal de mer depuis le début du voyage, il se faisait une joie de quitter ce rafiot pourri. Je me recouche ; dormir permet toujours de passer le temps. L'ambiance sur le bateau s'en ressent, les discussions sont moins animées, mes comparses fument leurs cigarettes machinalement, les yeux dans le vide. L'attente... Si près de la cote c'est tellement frustrant.

La mer a forci et il pleut. Les rafales de vent nous empêchent d'aller prendre l'air sur le pont et nous restons cantonnés tantôt dans l'atmosphère confinée de la cabine tantôt dans la salle enfumée de la cafétéria. De l'eau coule de notre hublot, les portes claquent, le navire craque de partout, des bruits de ferraille résonnent. A la nuit tombée c'est encore plus impressionnant. Le dernier naufrage de la compagnie date de 2002, 51 personnes, aucun survivant...

 

kazakhstan-aktau arrivée du bateau


J'ai  finalement réussi à m'endormir mais le roulis et le diner d'hier soir ont eu raison de moi. Je me réveille en pleine nuit avec des crampes d'estomac et l'envie irrépressible de vomir. A la vue des toilettes ce n'est pas long à sortir. Impossible de me rendormir, j'attends. La mer se calme au lever du jour et je me rendors enfin.

24h d'attente et toujours rien. Le bateau a levé l'ancre un instant ce matin, a allumé les moteurs et tenté une approche et puis rien. Nous n'avons aucune information. Je ne peux toujours rien avaler mais de toute façon nous n'avons plus grand chose à manger. Heureusement le cuistot m'aime bien, il me donne toujours du thé de l'eau chaude et du pain avec le sourire et surtout sans me faire payer. Vincent n'a pas le droit aux mêmes égards. Hé, hé, ça a du bon d'être la seule passagère!!!

L'attente risque d'être plus longue que prévue, il y aurait des problèmes militaires au Kazakhstan qui entraineraient la fermeture des frontières. Les rumeurs annoncent encore au moins trois jours d'attente, peut-être même une semaine! Finalement, vendredi matin le bateau a levé l'ancre et en moins de 2h nous étions à quai. Je me sens nettement mieux et j'ai hâte de fouler le continent asiatique! Nouvelle attente pendant des heures dans le hall du bateau. On nous a ensuite fait descendre du ferry avec nos bagages et un bus a emmené tous les passagers à la douane. Un militaire à peine sorti de la puberté joue les fiers-à-bras. Il est ridicule dans son uniforme trop grand et troué aux fesses. Encore une fois une interminable attente. J'essaie de découvrir la couleur du caleçon du bidasse, sans succès. A ma question sur la position géographique des toilettes, il répond un dédaigneux ‘niet taoulet'. Tout va bien! La télévision diffuse un soap turc et je le vois lorgner de ce côté par moment puis il reprend son air renfrogné pour organiser la file et gueuler sur ceux qui ont franchi la ligne imaginaire devant le guichet. Pour je ne sais quelle raison, il a souhaité faire passer les deux seuls touristes, Vincent et moi, à la fin et en l'occurrence, étant la seule passagère du bateau je suis passée en dernier. Il voulait peut-être s'amuser un peu avec ses jeunes collègues. ls me posent tout un tas de questions, veulent voir mes photos de voyage...des vrais gamins! Mais vu l'amabilité dont ils ont fait preuve auparavant je ne suis pas très affable. J'ai quand même droit a un ‘welcome in Kazakhstan‘, je crois rêver! Nous retournons vers le bateau pour chercher les vélos mais ce qui devrait être une formalité ne l'est pas forcément ... Nos comparses d'infortune auront beau leur expliquer que nous n'avons que deux pauvres vélos, je dois demander l'autorisation au commandant!  OK,OK... J'y vais... Je ne suis plus à 1h près après tout.


19h30, nous sortons enfin du port direction Aktau pour se rendre chez Timur, un des uniques couchsurfers du coin. Son quartier n'est pas trop difficile à trouver car il a pris soin de me donner son adresse en cyrillique. Il n'est pas encore rentré du travail mais sa femme nous accueille et vive la douche! Il a déjà bu 2 bouteilles de vodka d'après lui quand il arrive, je ne sais pas si c'est vrai mais il est passablement éméché et son anglais s'en ressent un peu. Impossible cependant d'échapper à quelques toasts avec le repas surtout que ses voisins sont également de la partie.

 

kazakhstan-aktau toasts chez timur (1)


Aktau, entre mer et désert, ville de poussière, de vent et de pétrole. On n'habite pas là par envie mais par opportunité. C'est le goulag du businessman, si on t'y envoie c'est forcément que tu n'as pas été gentil... En même temps, si tu veux rouler dans un gros 4x4, c'est le bon plan, l'essence n'est pas chère. Et d'ailleurs ça grouille de 4x4 ici. Cette ville s étend sur des kilomètres et s'arrête brutalement pour laisser place au désert. 


Partis tard d'Aktau nous n'avons pas fait 40 km tant le vent était puissant. Nous atteignons un bourg. Le directeur de l'école ne veut pas qu'on y plante notre tente, les professeurs ne sont  pasplus coopératifs, on attend la réponse d'un appel à je-ne-sais-qui, les policiers viennent jeter un œil, une babouchka nous posent des questions, les enfants contemplent nos vélos. Au grand soulagement des professeurs, un monsieur vient nous proposer son hospitalité. Il habite en face de l'école et c'est le mari de la babouchka de tout à l'heure. Je retrouve chez lui certains des enfants vus à l'école qui sont en fait ses petits-enfants. La maison est spacieuse d'autant plus qu'il y a peu de meubles. Des tapis ornent le sol et même certains murs. Nous mangeons assis sur des petits matelas autour d'une table basse. Au menu l'une des variantes infinie du plov, un riz pilaf très gras, aux tripes cette fois, accompagné de thé au lait servis dans des pialas, des petits bols en porcelaine. A la fin du repas, comme nos hôtes, nous joignons nos mains paumes tournées vers le ciel avant de les passer devant le visage pour remercier Dieu. Ce soir là, je m'endors instantanément sur le matelas posé à terre sous une lourde couverture.

 

 

Le lendemain nous roulons dans un paysage tout aussi désertique que la veille, quelques touffes d'herbe et aucun arbre. Nous croisons quelques troupeaux de chevaux et de chameaux mais très peu d'êtres humains.

 

kazakhstan-chameau

 

Le vent de face nous cantonne à un 10km heure. Son bruit incessant est épuisant et donne mal à la tête. Nous échouons dans le dortoir d'un motel routier, assez contents d'être seuls, mais on déchante vers 23h quand deux jeunes tambourinent à la porte. L'un est déjà saoul mais ils arrivent avec de nouvelles bières. Ils tentent la discussion, veulent que je leur fasse écouter de la musique française. Ils n'auront pas le temps de finir leur bière; je les entends ronfler après quelques gorgées.

Je finis tout juste mon bol de pelmeni, des raviolis à la viande cuits dans le bouillon, quand trois hommes dans un pick-up s'arrêtent au motel. Ils acceptent de nous emmener gratuitement à Chtepe à 60km d'où nous pourrons prendre un train pour Beyneu car nous savons par les routiers que la route se transforme en piste de cailloux impraticable pour nos vélos à cet endroit.

Nous sommes chanceux, il y a un train à 13h15! Mais comme ici tout doit être compliqué, les billets de train ne se prennent pas à la gare mais dans un bureau en ville... Bref, les billets en main, nous repartons vers la gare. La montée des bagages a été plus facile que prévue, une provonitsa est venue nous ouvrir la porte arrière du train. La négociation du prix pour le transport des vélos a été plus difficile et on s'en tire pour le prix de notre billet. Il faut relativiser cependant, ça ne fait que dix euros par personne tout compris pour 300km et 9h de trajet annoncé. A mon grand étonnement, le train est organisé pour les longs trajets, il est entièrement couchette et certaines sont modulables en siège et table. Nous sommes à côté d'agents de sécurité et d'un couple d'ivrognes. La femme a les traits bouffis par l'alcool, elle s'enfile des verres de vodka dans un cul de bouteille plastique en mangeant. Elle abreuve son homme qui git sur la banquette du dessus. Au bout de quelques heures leur démarche commence à tanguer et il peine à descendre. Il se place face à elle et lui donne des coups pour la réveiller, l'engueule. Elle le regarde les yeux hagards, incapable de répondre et prend un air de chien battu. Puis plus tard, c'est elle qui l'agresse avec sa voix pâteuse et c'est reparti pour un tour... Nos voisins sont aussi perplexes que nous. Des femmes passent dans le wagon pour vendre de la nourriture, des boissons et des vêtements. Le train s'arrête souvent, pour en laisser passer un autre ou dans un village perdu dans la steppe. Ça dort, ça discute et ça boit du thé. Ça sent les pieds et le saucisson.

 

kazakhstan-dans le train


Après 7h de train, je vois la plupart des gens du wagon se lever. Je suis étonnée car la seule ville de ma carte est Beyneu. Et en effet une dame me le confirme, nous y sommes! Heureusement que je lui ai demandé car sinon on serait partis vers le Nord. Un peu de stress donc pour descendre du train dans toute cette agitation et rassembler nos bagages sur le quai. Notre caravane rajoute à l'ambiance générale. On nous presse de questions et on veut nous prendre en photo.


On nous avait promis de l'asphalte à partir de Beyneu mais le goudron a été rongé par le sable et les dernières traces ressemblent plus à un amalgame de cailloux. Nous empruntons dès que possible les chemins sur le côté pour éviter la tôle ondulée de la piste. J'ai une bonne technique pour transporter les œufs sans les casser mais j'avoue que ce jour là ça tient du miracle. Le deuxième jour sur cette piste est vraiment difficile car le vent devient violent et l'air est saturé de sable. Nous arrivons à la douane où une longue file de voitures et de camions attendent déjà mais nous sommes considérés comme des piétons donc nous passons directement devant. Comme la douane est à sens unique nous devons attendre la sortie des voyageurs d'en face. On a l'impression d'être au cirque, et c'est nous les lions! Ils veulent tous notre photo dans leurs téléphones portables! En à peine 3h nous passons les douanes ouzbek et kazahk. Mais grosse déception, je cherche l'oazis dont on nous parle depuis 2 jours en vain... Ce n'est que le nom trompeur du village frontalier mais il n'y a ni arbre ni puit!

 

kazakhstan-arrivée en ouzbekistan


Enfin du bitume et un petit vent dans le dos! On enchaîne du coup deux bonnes journées de 162 et 140 km. Mais tout à une fin et le vent se lève à nouveau et cette fois-ci c'est carrément la tempête. le vent est de plus en plus violent et la route en construction. On n atteind même pas les 8km heure. le sable ocre s'écoule sur la route. On lutte contre les bourrasques et dès qu'on arrive à aller plus vite le vent nous rappelle que nous ne sommes qu'un petit être humain misérable. Visibilité minimale. Ambiance de fin du monde.

Un mélange de morve et de sable colmatent mes narines. Malgré les buffs devant la bouche, le nez et les oreilles, le sable s infiltre. Nous sommes sauvés par les chinois qui construisent la route et qui arrêtent de travailler. Ils nous prennent dans leur camion et nous amène à Kongrat. En sortant de la ville c'est Timur qui propose de nous prendre en stop jusqu’à Nukus et qui nous offre du coca. Ça nous arrange bien car la route est encore en construction et complètement pourrie D'un Timur à l'autre... Ici ce prénom est très répandu car c'est le nom original d'un héros, Tamerlan, d'après lui un des descendants de Gengis Khan.

 

Timur nous arrête en centre ville, à nous de jouer maintenant pour trouver un logement pour la nuit!

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S
<br /> <br /> Oh ! Béh ! L'aventure semble se corser ! Entre le temps qui n'est guère clément et les populations qui vous 'taquinent', d'une manière ou d'une autre ... Mais tu laisses aussi entendre que tu<br /> apprécies toujours autant et que tu passes néanmoins de bons moments ! Tant mieux ! Je vous souhaite que cela continue ! Et continuez à nous faire partager ces aventures, ça fait du bien de<br /> voir/savoir ce qui se passe pour vous / les autres à l'autre bout du monde. Grosse bise et surtout bon courage pour contrer le vent (je connais avec le mistral et je peste quand il vient d'en<br /> face, alors que je suis pile dans la côte, grrr !).<br /> <br /> <br /> S.<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> je savais que tu me comprendrais!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> <br /> Coucou ma belle ... et bien ce n'est pas loin de ce que j'imaginai l'ouzbékistan :-)) bon j'hésitai mais finalement je ne regrette pas le choix de mon prochain voyage !!!<br /> <br /> <br /> gros bisous à toi<br /> <br /> <br /> Gaëlle<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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